Les images satellite privées pèsent comme jamais dans le conflit en Ukraine — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« Les gouvernements ne sont plus les seuls à produire des données satellite de haute précision », relève Craig Nazareth, ancien agent de renseignement enseignant aujourd’hui à l’Université de l’Arizona.

Comparé à de précédents conflits, comme l’annexion de la Crimée en 2014, le volume d’images prises aujourd’hui est bien plus important et le délai de traitement bien plus rapide.

Crédibiliser les dires des gouvernements

La plupart des nations occidentales disposent de leurs propres satellites, mais ces informations sont classifiées, contrairement à celles des entreprises privées. Ces images tierces aident à crédibiliser les affirmations des gouvernements, notamment américain et britannique, qui inspirent une méfiance accrue depuis la guerre en Irak en 2003.

Au-delà de leur contribution pour façonner le récit, ces images visent aussi et surtout à aider les forces ukrainiennes sur le terrain. « Capella Space travaille directement avec les gouvernements américain et ukrainien (…) pour fournir des données actualisées et de l’aide dans le conflit en cours », affirme le patron de cette entreprise, Payam Banazadeh.

My team at @capellaspace has been working around the clock to provide real time transparency into the invasion of Ukrain. Capella was built to be our eyes in the sky to fight fake news and manipulation. We are here to watch and report, day or night and in all weather. pic.twitter.com/VFOipk7g4J

— Payam Banazadeh (@payamban) February 27, 2022

L’invasion révélée avant que Moscou l’officialise

Les images prises par cette start-up basée à San Francisco ont permis à un groupe de chercheurs indépendants de réaliser que l’invasion de l’Ukraine avait été lancée plusieurs heures avant qu’une « opération militaire » ne soit annoncée par le président russe Vladimir Poutine.

Le 23 février, Jeffrey Lewis, de l’Institut Middlebury en Californie, pointait un bouchon sur Google Maps, là où le convoi militaire avait été repéré par Capella Space. Selon lui, il s’agissait probablement de civils bloqués par les barrages routiers mis en place pour laisser passer le convoi.

According @googlemaps, there is a « traffic jam » at 3:15 in the morning on the road from Belgorod, Russia to the Ukrainian border. It starts *exactly* where we saw a Russian formation of armor and IFV/APCs show up yesterday.
Someone’s on the move. pic.twitter.com/BYyc5YZsWL

— Dr. Jeffrey Lewis (@ArmsControlWonk) February 24, 2022

Une technologie déjà très ancienne

Si la plupart des satellites d’imagerie on besoin du jour et un d’un ciel clair pour fournir des clichés, ceux de Capella Space fonctionnent par tout temps, grâce à une technologie nommée RSO (radar à synthèse d’ouverture).

Celle-ci « pénètre les nuages et la fumée, même lors de grosses tempêtes ou de feux, donc nous pouvons prendre des images claires et précises dans quasiment toutes les conditions », selon Dan Getman, vice-président en charge des produits de l’entreprise.

La technologie existe depuis le milieu du 20e siècle, mais n’a été introduite dans le secteur privé que très récemment.

Une attaque déjà le 23 février

Une autre entreprise dont les images ont été très utilisées est BlackSky. L’une d’elles montre ce qui pourrait avoir été l’une des premières attaques dans cette guerre: sur une centrale de la ville de Lougansk peu après 16h00 locales le 23 février.

« Nous avons une constellation de petits satellites qui peuvent voir de l’aube jusqu’au crépuscule », souligne le PDG Brian O’Toole. Ceux-ci volent dans le sens inverse de la rotation du globe, afin de pouvoir repasser au-dessus d’une zone à une fréquence élevée.

Les images sont envoyées aux clients dans les 90 minutes et des logiciels utilisant l’intelligence artificielle permettent d’aider à les interpréter.

L’une des premières images de l’attaque russe publiée par BlackSky le 24.02.2022. [BlackSky/Twitter]

Un convoi militaire devenu vite célèbre

L’une des images les plus emblématiques jusqu’ici est probablement celle d’un immense convoi militaire russe, s’étirant sur plus de 60 kilomètres au nord-ouest de Kiev. Elle a été prise par l’entreprise Maxar, « l’ancêtre dans cette industrie », selon l’analyste Chris Quilty.

Le convoi russe photographié le 27.02.2022. [Maxar Technologies/AFP]

Autre acteur ayant publié des images, dont certaines montrant des comparaisons avant/après des frappes: Planet, qui dit travailler avec des gouvernements, des organisations intergouvernementales et des médias.

« Des ponts effondrés. Des avions détruits. Nous continuerons à dévoiler cela au grand jour », a tweeté jeudi Will Marshall, cofondateur et PDG de Planet.

Image montrant les dégâts sur l’aéroport d’Hostomel, 28.02.2022. [Planet Labs PBC/AFP]

Le gouvernement américain, qui est l’un des principaux clients de Maxar, décide ainsi des zones à observer. Cela explique que beaucoup de temps soit passé au-dessus de l’Ukraine aujourd’hui.

Des questions éthiques soulevées

Mais la publication sélective des images prises pourrait aussi poser certaines questions éthiques. Maxar et les autres « capturent aussi inévitablement des images des mouvements des forces ukrainiennes et de leurs positions défensives, mais cette information n’est pas publiée », relève Chris Quilty.

Ainsi, selon lui, « il y a sans aucun doute une capacité à influencer le récit en fonction des images rendues disponibles. »

afp/oang