La guerre en Ukraine accélère la course aux armements — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Face au retour de la guerre en Europe, la Pologne, la Belgique, la Suède ou encore le Danemark annoncent des fonds supplémentaires pour leurs armées. Les Etats-Unis, dont le budget militaire est déjà de loin le plus élevé sur la planète, pourraient aussi avancer dans cette voie. Le président Joe Biden a demandé, fin mars au Congrès, d’allouer 813 milliards de dollars à la défense en 2023, soit une augmentation de 31 milliards, ce qui en ferait le plus gros budget militaire de tous les temps.

Des armes toujours plus chères

Ces annonces vont encore renforcer la tendance à la hausse observée au niveau mondial: les dépenses en termes d’armement ont augmenté de 9,3 % entre 2011 et 2020, selon le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri). Dans la région européenne, Russie comprise, l’augmentation est marquée, avec +16% sur cette même période. « Cet argent est surtout utilisé pour moderniser les équipements, ce qui avait été un peu délaissé pendant longtemps », analyse Sophie Lefeez, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et invitée de « Géopolitis ». « Les matériels modernes coûtent beaucoup plus cher que les matériels anciens. » Ils seraient 5 à 10 fois plus coûteux que ceux de la génération précédente, selon cette spécialiste de l’armement.

Les pays européens membres de l’OTAN ont aussi réinvesti dans le militaire pour se conformer aux engagements pris en 2014, lors du sommet de l’organisation au Pays de Galles: consacrer au minimum 2% de leur PIB aux dépenses de défense. Une engagement qui avait été formalisé quelques mois à peine après l’annexion de la Crimée par la Russie.

La course à la technologie

La hausse des dépenses militaires est aussi importante en Asie et en Océanie, notamment pour la Chine qui a augmenté son budget de défense de 76% entre 2011 et 2020. « Dans un premier temps, c’est un phénomène de rattrapage », explique Sophie Lefeez. « Effectivement, elle a une hausse très importante en termes de pourcentage puisqu’elle part de très loin. »  Le pays investit tous azimuts, dans sa flotte – la Chine est devenue le premier pays producteur de navires militaires au monde mais aussi dans de nouvelles technologies militaires, comme les missiles hypersoniques.

Ces missiles peuvent atteindre des vitesses extrêmement élevées et ont des trajectoires difficilement prévisibles, ce qui pourrait leur permettre d’échapper aux systèmes de défense antimissiles actuels. La Chine mais aussi la Russie semblent en pointe dans le développement de ces armes. La Russie a même revendiqué les premières utilisations de missiles hypersoniques dans un conflit, en mars, en Ukraine. Mais les Etats-Unis, l’Inde, le Japon ou la France ont aussi des programmes de développement. Les Etats investissent aussi dans des drones de combat de plus en plus performants et autonomes, ou développent l’utilisation à des fins militaires de l’intelligence artificielle.

La plupart des pays n’arrivent pas à se maintenir dans cette course technologique, extrêmement coûteuse. « On est obligé de diviser un peu la charge, explique Sophie Lefeez, d’où l’essor des programmes de défense européens ces dernières années et le fait de fonctionner en alliance. » Mais la mise en commun des investissements dans certains secteurs ne suffira probablement pas. « Je me demande si on sera en capacité de continuer cette course-là au plan financier, parce que ce sont des dépenses qui vont se faire au détriment d’autres choses », estime la chercheuse.

Au-delà des budgets militaires

Depuis 2008, la Russie s’est lancée dans un vaste programme de modernisation de son armée. Les budgets de la défense ont fortement augmenté après avoir atteint un plus bas dans la fin des années 90. Mais les moyens ne font pas tout, comme l’explique Sophie Lefeez: « On a vu effectivement que l’armée russe a rencontré des problèmes [en Ukraine]. Il est trop tôt pour affirmer quelque chose mais on peut faire des hypothèses à ce stade. Cela donne l’impression que les chefs d’Etat-major ont eu les plans d’attaque relativement tard, ont eu peu de temps pour se les approprier et pour anticiper des plan B en cas de difficultés. Car on a pu observer qu’en cas de problèmes on continuait sur le même plan. Il semble aussi qu’il y a eu des difficultés de coordination. »

Autres hypothèses avancées par chercheuse: la Russie ne voudrait pas trop détruire le pays pour conserver des infrastructures en état de marche après la guerre. Moscou aurait aussi peut-être sous-estimé la détermination du peuple ukrainien.

Elsa Anghinolfi

Nucléaire: dissuasion ou menace?

Le 27 février dernier, Vladimir Poutine ordonnait la mise en alerte de ses forces de dissuasion, faisant grimper l’inquiétude chez ses voisins européens et dans le monde. La Russie détient l’arsenal atomique le plus important au monde, avec près de 6000 ogives, dont presque un quart actuellement déployé. Elle devance les États-Unis (5428 ogives) et les trois autres membres permanents du Conseil de sécurité : Chine (350), France (290), et Royaume-Uni (225). Le Pakistan (165), l’Inde (160), Israël (90) et la Corée du Nord (20) détiennent eux aussi l’arme nucléaire.

Quasiment tous ces pays ont étoffé depuis l’an dernier leur force de frappe. Comme la Chine, qui a produit 60 ogives supplémentaires. Londres a étendu ses capacités de production, une première en 30 ans. Une tendance au réarmement nucléaire qui tranche avec des décennies de réduction des stocks, depuis la fin de la Guerre froide. Mais les Etats ont aussi investi dans la modernisation de leur arsenal, notamment en développant des missiles hypersoniques capables de transporter des charges nucléaires.

Les puissances atomiques, Russes et Américains en tête, poursuivent aussi le développement d’armes nucléaires dites « tactiques ». Miniaturisées, plus légères et de plus faible portée, elles peuvent être déployées sur un champ de bataille. « Les États-Unis ont sorti en 2019 un document d’Etat-major qui semble indiquer qu’ils voient les armes nucléaires tactiques comme quelque chose d’essentiel au succès des missions », analyse Sophie Lefeez. « Quelques mois plus tard, ils ont déployé un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) avec des missiles balistiques avec une petite charge nucléaire de 5 kilotonnes. Par comparaison, Hiroshima, c’est 15 kilotonnes. Il y a également eu un exercice de l’OTAN en 2020 où il était question aussi d’emploi d’armes nucléaires tactiques. Donc on sent effectivement que c’est clairement envisagé, du moins du côté des pays de l’OTAN. »