Navalny, l’homme qui défie le tsar — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Un homme défie le tsar et la violence de la réaction ne peut que donner à penser que le pouvoir est irrité, agacé, dérangé et que cette voix discordante pourrait à elle seule bousculer un régime où le président vient d’obtenir de conduire le pays quasiment à vie. On en doute bien sûr, mais plus Navalny agit et proteste, plus le régime s’émeut. Il y a donc dans cette protestation le ferment d’un ébranlement possible, un doute liminaire. Nouveau David contre Goliath, Navalny est faible face à la machine d’Etat, fort par ce qu’il incarne et représente : l’exigence de transparence, la lutte contre la corruption, le besoin de liberté. A lui seul, il témoigne avec éclat de la nature autocratique du régime. Navalny a réussi à lier son destin à celui de Poutine. Tout ce qui pourra lui arriver de malheurs sera autant de décompté au président. Poutine a droit de vie ou de mort mais il n’est plus le maître du temps.

L’enquête de Navalny sur le « Palais de Poutine » est un nouvel épisode dans sa lutte contre la corruption en Russie. Ses équipes ont fait la lumière sur un domaine de la Mer Noire qui a été construit spécialement pour le président Poutine. Il n’en est pas le propriétaire formel mais l’aménagement, les mesures de sécurité, le montage financier, la présence de proches, tout remonte à lui. Ils en ont rapporté des images saisissantes proposées sur internet et que des millions de gens ont déjà vues. C’est une propriété hors norme, d’un luxe inouï, étendue sur plusieurs milliers d’hectares, comprenant de nombreuses dépendances et un Palais que les enquêteurs comparent à Versailles ou au Palais d’Hiver. Dans une version contemporaine, car le palais comprend une patinoire sous-terraine, des héliports, un métro pour rejoindre le bord de mer. Une enquête minutieuse digne des meilleures émissions d’investigation, recourant à un drone, analysant les données publiques, consultant les catalogues des fournisseurs, reconstituant les intérieurs grâce à des images de synthèse.

Le Nord Stream 2 à nouveau en question

Les protestations en Russie et dans le monde ne vont pas ébranler Poutine. La Russie souffre des sanctions économiques mais elle est fière de son rôle retrouvé d’acteur qui compte dans le monde, au Caucase, en Libye, en Afrique. Mais Navalny est malgré tout le grain de sable dans la machine. Pour preuve, le gazoduc Nord Stream 2 fait à nouveau polémique. Le pipeline de 1200 kilomètres immergé dans la mer Baltique doit alimenter en gaz russe l’Europe. Il était suspendu depuis une année, à cause des sanctions américaines. Les travaux avaient repris subrepticement il y a quelques jours au large des côtes danoises. Il ne manque que quelques dizaines de kilomètres. L’arrestation de Navalny et la répression violente qui s’en est suivie relancent le débat sur l’opportunité du projet. La construction est contestée par les Verts en Allemagne, notamment. Le Parlement européen a demandé l’arrêt du projet. L’Europe est à nouveau sommée de choisir entre le réalisme le plus cynique et la défense de ses valeurs fondamentales. Un dilemme qu’elle connaît déjà avec l’accord de principe qu’elle vient de signer avec la Chine.

Navalny, lui, est à nouveau en prison. Il ne s’était pas présenté au poste de police ces derniers mois.

André Crettenand