Gulbahar Haitiwaji: « Jamais la Chine n’arrivera au lavage de cerveau des Ouïghours »

4 octobre 2022

Ouïghoure installée en France, Gulbahar Haitiwaji a été arrêtée lors d’un voyage en Chine, puis envoyée pendant près de trois ans dans un camp de « rééducation » chinois. « Si nous parlions ouïghour, nous devions utiliser notre unique serviette de bain pour nettoyer les sols, les toilettes pendant une semaine », témoigne-t-elle à l’émission de la RTS Mise au point.

Mise au Point / 20h. / 6 min. / 02.10.2022

RTSinfo: Comment vous êtes-vous retrouvée dans un camp de « rééducation »?

Gulbahar Haitiwaji: En 2006, je m’étais exilée à Paris. Je vivais une vie tranquille avec mon mari et mes deux filles. A la fin de l’année, j’ai reçu un message d’une ancienne collègue par WeChat, la version chinoise de WhatsApp. Elle me dit que je dois revenir en Chine pour m’occuper d’une formalité en lien avec mon ancien travail. J’ai pris deux semaines de vacances et je suis rentrée. Arrivée sur place, ils m’ont arrêtée et j’ai été emprisonnée pendant près de trois ans.

Comment ont-ils justifié votre arrestation?

Ils ont trouvé une fausse excuse pour m’arrêter en disant que j’avais organisé des groupes accusés de trouble à l’ordre public.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pendant votre détention?

Dans le camp de concentration, toutes les femmes étaient enchaînées. Comme si ce n’était pas suffisant, en avril 2017 pendant 20 jours, ils m’ont attachée à mon lit. Pour d’autres femmes, c’était encore plus long. Pendant une dizaine de jours, attachée à mon lit, on ne m’a même pas permis d’aller aux toilettes. J’ai eu des douleurs insupportables au dos. J’ai finalement fait mes besoins attachées au lit devant tout le monde, dans la grande salle du camp. Je n’oublierai jamais ce jour.

Quelles étaient les conditions dans le camp?

La première fois qu’ils m’ont mis les chaînes aux pieds et aux mains 24/24 heures, c’était en janvier 2017 quand je suis arrivée dans le camp de concentration. Ils me les ont enlevées en juin, quatre mois plus tard. Dans la cellule, il y avait de la place pour sept personnes et nous étions une quarantaine de femmes. Pour manger, nous avions un peu de pain chinois à la vapeur et un peu de soupe de chou chinois. Il n’y avait rien d’autre. Quand il faisait froid, autour de -20 degrés, ils nous amenaient dehors pour nous torturer en nous promenant dans le froid. Deux fois par année, ils disaient qu’ils nous vaccinaient contre la grippe. Mais après les vaccins, les femmes n’avaient plus leurs règles.

Deux fois par année, ils disaient qu’ils nous vaccinaient contre la grippe. Mais après les vaccins, les femmes n’avaient plus leurs règles.

Gulbahar Haitiwaji

Avez-vous subi des violences physiques?

Non. Mais les femmes qui étaient dans la même pièce que moi ont été frappées au visage, tabassées, torturées. Je l’ai vu de mes yeux.

Pékin prétend qu’il s’agit de centres d’apprentissage…

Ce sont des mensonges. Ce ne sont pas des centres de rééducation. Les personnes qui sont amenées dans ces camps n’ont besoin d’aucune éducation ou d’apprentissage. Beaucoup sont docteurs, banquiers, professeurs ou enseignants. Ils ont déjà assez de formation, assez d’études.

Y avait-il dans le camp des règles pour vous changer?

Dans le camp de concentration, il y avait beaucoup d’activités répétitives. Chaque jour, nous avions onze heures de cours de chinois, d’histoire ou encore de propagande chinoise. Il était interdit de parler en ouïghour avec les autres. Si nous nous faisions attraper à parler ouïghour, pour nous punir, nous devions utiliser notre unique serviette de bain pour nettoyer les sols, les toilettes, partout, pendant une semaine. Tout ce qu’ils nous enseignait, nous devions l’apprendre par coeur. Chaque vendredi, nous passions un examen. Ils nous menaçaient en nous disant que si nous ne le réussissions pas, nous ne pourrons jamais sortir du camp. Jamais le gouvernement chinois n’arrivera à atteindre son objectif de lavage de cerveau. Si cela fonctionnait, je ne serais par là.

Moi et les Ouïghours du monde entier attendions avec impatience le rapport du Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme sur les violences contre les Ouïghours. Mais quand nous l’avons lu, nous avons été très déçus. Le rapport de l’ONU sur le Xinjiang, publié en septembre, évoque de possibles « crimes contre l’humanité ». Qu’en pensez-vous?

Gulbahar Haitiwaji

Moi et les Ouïghours du monde entier attendions avec impatience le rapport du Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme sur les violences contre les Ouïghours. Mais quand nous l’avons lu, nous avons été très déçus. Car malgré les preuves, malgré les témoignages des survivants, la haute-commissaire Michelle Bachelet n’a pas utilisé le terme « génocide ». Ce n’est donc pas assez.

En lire plus: Le rapport de l’ONU sur le Xinjiang évoque des crimes contre l’humanité

Est-ce que vous êtes choquée par la passivité de la communauté internationale?

Les camps existent depuis fin 2016. Cela fait bientôt six ans et ces camps de concentration existent toujours. Je suis vraiment déçue que la communauté internationale n’en ait pas fait assez. Si elle avait fait plus d’efforts, de pressions sur le gouvernement chinois, aujourd’hui les camps seraient fermés et il n’y aurait pas autant de disparus.

Propos recueillis par Sébastien Faure/vajo

« Rescapée du goulag chinois », de Gulbahar Haitiwaji avec Rozenn Morgat, Editions Equateurs, 200 pages