Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU tient actuellement sa 47ème session, et elle dure jusqu’au 13 juillet. La torture est l’une des violations des droits humains les plus effroyables, et qui est loin de disparaître comme on pourrait le penser naïvement. Au contraire, les cas de torture se multiplient, notamment à l’encontre des migrants. Gerald Staberock, le secrétaire général de l’Organisation mondiale contre la torture, l’OMCT, basée à Genève, nous en parle dans l’entretien qu’il nous a accordé.
Vous êtes spécialiste de la lutte contre la torture aujourd’hui, mais quel a été votre parcours ?
J’ai succédé à Eric Sottas comme secrétaire général de l’OMCT en 2011. Je suis Allemand et Suisse. À la fin des années 90, j’ai travaillé à Varsovie avec des institutions de défense des droits de l’homme. Puis j’ai été, pendant dix ans, responsable de programmes internationaux à la Commission internationale de juristes (CIJ) à Genève et j’ai notamment analysé les exactions opérées par l’administration de George W. Bush.
Quelle est la force de l’OMCT ?
L’OMCT a une petite structure à Genève, mais nous disposons d’un réseau de plus de 200 organisations, qui luttent contre la torture dans plus de 90 pays, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et partout dans le monde.
Vous avez publié un communiqué appelant les autorités grecques à mettre fin à leur politique de refoulement, que vous assimilez à de la torture. Vous leur demandez de poursuivre les auteurs de ces actes et de protéger les migrants. Pour vous, ces personnes sont victimes de torture ?
Des cas de torture existent bel et bien. Mais surtout, la politique de refoulement est basée sur une idée punitive envers les migrants. On considère qu’ils n’ont aucuns droits parce qu’ils sont illégaux. Quand vous vivez dans une telle situation, vous êtes presque toujours dans un environnement propice à la torture et aux traitements dégradants. En subissant des abus physiques et verbaux, les migrants se retrouvent pris dans un système loin de toute normalité.
Loin d’être normal, c’est-à-dire ?
La manière de refouler les migrants pose problème. Ces gens venus dans un bateau de fortune que l’on contraint à rejoindre la côte turque ressentent une extrême angoisse. La torture est aussi d’ordre psychologique. Et l’impunité est absolue pour ceux qui commettent ces actes. C’est une politique voulue. L’Europe s’est érigée en forteresse et ne veut pas voir ces traitement dégradants et inhumains.
Les migrants subissent-ils aussi des tortures dans d’autres régions ?
Les rapports indiquent un phénomène similaire en Croatie, aux frontières terrestres, des violences, des mauvais traitements. Cela existe un peu dans tous les pays méditerranéens, avec des niveaux différents. Des cas isolés de torture peuvent survenir, par exemple dans un poste de police. Ce n’est pas acceptable, mais on peut espérer qu’il y aura au moins une enquête. Le Comité contre la torture de l’ONU a constaté que certaines conditions de détention en Italie et dans des pays d’Europe de l’Est s’apparentaient à de la torture. La violence policière peut aussi être considérée comme de la torture, mais cela fait rarement partie d’une politique délibérée. Dans certains centres grecs, on veut infliger une leçon aux migrants pour décourager les éventuels candidats au départ.
L’Union européenne (UE) porte une responsabilité morale, non ?
C’est pire que cela ! L’UE a l’obligation juridique d’agir car elle reconnaît le droit international et elle a édicté une Charte des libertés fondamentales. La Commission européenne doit surveiller et contrôler ce qui se passe. Elle dénonce les projets de loi homophobes en Hongrie. Elle devrait aussi dénoncer les traitements dégradants que subissent les migrants. L’Union ne le fait pas, pour moi c’est un choix politique.
Diriez-vous que l’impunité est de mise ?
De nombreux migrants arrivant dans des ports méditerranéens ont déjà subi des tortures. Après ce premier traumatisme, ils en ont un deuxième avec ce qu’on leur fait subir délibérément lorsqu’ils débarquent. Il y a une impunité totale : où sont les procureurs qui enquêtent en Grèce, en Italie, en Croatie sur les cas d’abus ? Quelle réponse politique ? De plus, les défenseurs des droits de l’homme qui témoignent sont diffamés lorsqu’ils engagent des actions de sauvetage. En Grèce, il y a la volonté de cacher les choses.
D’autres situations en Europe ?
La torture est systématique et d’une gravité extrême au Donbass. Et les autorités n’y mènent aucune enquête. En Biélorussie, en pleine répression, la situation est dramatique aussi.
Peut-on parler d’une loi du silence ?
Ce qui frappe par rapport à la torture et à des traitements dégradants ou inhumains, c’est que l’on sait, mais que l’on ne veut pas voir.
La torture est-elle un phénomène qui s’aggrave partout ?
Il y a des progrès, comme la nouvelle loi contre la torture édictée au Mexique. Mon collègue Isidore Ngueuleu constate qu’en Afrique, l’état de droit s’est amélioré dans plusieurs pays. Il travaille sur les défis liés à la protection des migrants sur la route migratoire au Sahel, une région instable depuis une dizaine d’années après la chute de Kadhafi en Libye et la dispersion de ses armes dans plusieurs pays déjà fragilisés politiquement et démocratiquement. Et avec un éparpillement de groupes armés dans la région y compris d’obédience islamiste.
Dans quels pays ?
Au Burkina Faso, au Niger, au Mali, au Tchad et en Mauritanie, on observe une pratique quotidienne de recours à la torture, de manière institutionnalisée, ou dans des commissariats et dans d’autres lieux de détention. Le recours à la torture, aux disparitions forcées, aux exécutions sommaires ou extrajudiciaires sont pratiqués par des forces de sécurité étatiques ou par des groupes armés non étatiques.
Les membres du Forum de dialogue politique libyen (LPDF) ont entamé, le 28 juin à Genève, une réunion facilitée par la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (UNSMIL) avec le soutien du gouvernement suisse et du PNUD. Quelle est la situation des migrants en Libye ?
Depuis les dix années noires que vit la Libye avec son instabilité, la politique de l’UE a pour conséquence que la situation est horrible pour les migrants victimes de tortures. L’UE tente de faire des autorités libyennes les gardiens des frontières sud de l’Europe, mais elle ne veut pas comprendre que les autorités libyennes n’ont pas la capacité d’être les bons gardiens de la frontière du Sud. Les gardes côtes libyens qui interceptent les migrants fuyant sur des barques en Méditerranée, les frappent et leur tirent dessus sous prétexte de contrôler les foules.
On mentionne beaucoup aussi les viols des migrantes ?
Dans les centres de détention en Libye, il n’y a pas de différence entre hommes, femmes et enfants. Tous sont exposés au même niveau de torture. Les hommes aussi sont violés. Les femmes sont presque systématiquement violées. Certaines sont enlevées par des hommes qui paient et font ce qu’ils veulent avec elles. Les rapports dont nous disposons en témoignent. C’est choquant d’entendre les responsables de l’Union européenne affirmer que la Libye peut être un pays sûr.
On parle moins de Guantanamo …
Les abus dénoncés à l’époque du président George W. Bush n’ont peut-être plus lieu, mais des gens y sont emprisonnés depuis des années sans perspective de retourner chez eux. Ils sont traumatisés par les tortures subies et n’ont pas accès à un traitement médical. On verra si le président Joe Biden fermera Guantanamo comme il l’a dit.
Luisa Ballin