Chine-Etats-Unis: froidement dit — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Tout allait bien tant que la Chine concourrait pour être la première puissance économique mondiale. Elle est désormais menaçante, agressive. Elle avoue des projets de conquête. Taïwan tremble. L’Australie frémit. Le Japon n’est pas tranquille. Elle construit les routes de la Soie. Elle prend pied en Afrique.

Surtout, elle se veut un modèle de développement et de société où l’efficacité vaut mieux que toutes les formes de liberté. Un modèle qu’elle promeut contre l’ordre libéral des démocraties dont elle raille les faiblesses et les difficultés. On est bien dans la confrontation de systèmes de valeurs. La Chine, jadis maîtresse du temps long, forte de son millénaire d’empire, est soudain saisie par le désir troublant de la puissance immédiate. Monsieur Xi en fait une affaire personnelle.

Joe Biden y répond en tissant une toile de contention dans la zone indo-pacifique. Cela se traduit par le partenariat avec l’Australie et le Royaume-Uni (dénommé « AUKUS »), dont le premier acte est la fameuse vente à l’Australie de sous-marins américains à propulsion nucléaire. Et par la création la semaine dernière à Washington du « Quad », une alliance entre les Etats-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde. On y discute sécurité et économie. Au passage, il s’agit aussi de s’assurer l’accès aux « terres rares » et aux micro-processeurs.

Faut-il choisir son camp ?

La guerre froide exige que l’on désigne son camp. L’Europe sera-t-elle donc sommée de choisir, comme tout le monde ? Joe Biden le demande à ses alliés. « Doit-on pour autant se laisser embrigader dans la croisade contre la Chine ? La suprématie du monde, ce n’est pas le projet de l’Europe », soulignait Pascal Boniface aux « Géopolitiques de Nantes », il y a quelques jours. A quoi Pierre Haski répondait par cette autre interrogation : « Rester neutre, n’est-ce pas risquer de laisser la place à la Chine ? »

Ce sera donc difficile de s’abstenir. Et la question répétitive, lancinante, qui se pose à chaque crise internationale est là : quelle politique commune de défense l’Union européenne pourra-t-elle mettre en place un jour ? Dans l’affaire des sous-marins, les Européens ont tardé à afficher leur solidarité avec la France. Ce fut des mots doux, peu de gestes rudes. L’Europe peut-elle être un herbivore dans un monde de carnivores ?

Le piège de Thucydide

La guerre froide s’installe, la guerre chaude est-elle pour autant inévitable ? L’Histoire inspire à nouveau. Des théoriciens, nourris de lectures antiques, évoquent avec délices le « piège de Thucydide », allusion à la Guerre du Péloponnèse, racontée par l’historien grec, et qui opposa Spartes à Athènes. Ils en ont tiré une leçon et un concept : toute puissance voyant naître une concurrente lui fera la guerre tôt ou tard.

On n’en est pas là, heureusement. Mais on craint l’incident malheureux, le dérapage incontrôlé, car ce monde en recomposition évolue dans un univers sans règles ni usages. Parfois, sans mémoire.

Il y a quelques mois encore, on ne croyait pas aux scenarii du pire, écrits par des boutes-feux qui auraient plaisir à effrayer. Aujourd’hui, on se dit que la réalité pourrait rattraper la fiction.

André Crettenand