La France ne sait plus où donner de la tête, à qui donner sa voix. Elle se renfrogne, boude, et ne va pas voter. Les rares qui ont fait l’effort d’aller aux urnes – un effort sans joie – avaient dans le cœur le désir de nuire. À un président arrogant, à un agitateur orgueilleux, ou à une candidate détestable. À choix. Voter contre, et non voter pour. Ce qui n’est pas l’usage le plus vertueux de la démocratie. Les électeurs n’ont plus de convictions, que des humeurs.
Le président à peine élu est vite chahuté. On lui donne les pleins pouvoirs, et on le regrette déjà. Il faut un roi, et il n’en faut pas. On veut être dirigé, mais pas trop. Au lendemain de l’élection présidentielle, un sondage révélait qu’une majorité de Français ne voulait pas que le président réélu obtienne une majorité à l’Assemblée nationale. L’alternance semble le moyen le plus sûr de faire douter le président après l’avoir conforté. Affection cyclothymique ? Plutôt une nature frivole. Le bonheur est parfois à gauche, parfois à droite, du coup, il n’est nulle part. L’amour ne dure pas cinq ans.
Mélenchon n’a fait qu’exploiter l’un des ressorts les plus fondamentaux des Français : la contestation. Rejouer la Révolution est le rêve immémorial. Et la seule passion à même d’enflammer les esprits. L’élection de François Mitterrand demeure un souvenir ardent.
Mélenchon proclame son admiration pour Robespierre avec qui il partage l’amour du verbe, le désir de table rase, et la fascination pour la violence populaire. « Il est victime du syndrome de l’inachèvement égalitaire de la Révolution », dit l’historien Emmanuel de Waresquiel. « Il reste accroché à cet idéal révolutionnaire après lequel il court, et il prend comme Robespierre le risque de l’absolutisme et de l’enfermement dans un idéal indépassable », dit-il dans une interview à « L’Express ».
Les élections sont un moment privilégié pour sonder le cœur de la nation. Les législatives révèlent des citoyens d’abord préoccupés par la pénurie de moutarde et le prix de l’essence. Pas trop par l’Ukraine. Ils seraient plutôt impatients que la guerre se finisse quoi qu’il en coûte aux Ukrainiens.
Le désintérêt pour les questions internationales n’est pas franchement nouveau. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie bouleverse toute l’Europe et va changer durablement les équilibres géopolitiques. La France ne semble pas capter la portée de l’événement. La guerre est aux « portes de l’Europe », disent les commentateurs, comme pour la repousser loin, marquant par là même une distance ultime avec là-bas. La France de la liberté est bien silencieuse. La Russie paralyse les esprits.
Dans le wagon aménagé qui les emporte vers la capitale d’un pays en guerre, ils devisent, heureux de leur initiative. Image étrange, peut-être historique.
C’est pourtant bien le peuple en armes qui se bat en Ukraine pour l’indépendance et la liberté. Le voyage à Kiev peut-il changer les choses ? Le président français s’y est rendu, avec Olaf Scholz et Mario Draghi. La vieille Europe a pris le train. Dans le wagon aménagé qui les emporte vers la capitale d’un pays en guerre, ils devisent, heureux de leur initiative. Image étrange, peut-être historique. Quelques heures plus tard, à Irpin, ils observent sidérés les exactions commises par les troupes russes. La guerre qu’ils suivaient à distance sur les écrans leur saute à la figure. L’horreur les saisit brutalement. Ils comprennent. « Une barbarie », murmure Emmanuel Macron. Ils assurent l’Ukraine de leur soutien indéfectible, enfin. Ils font des promesses, beaucoup.
Ne pas humilier Poutine et séduire Zelensky, l’équation française était compliquée, impossible sans doute. Il fallait choisir. Le « en même temps » connaît ses limites. À l’intérieur comme à l’extérieur.
La Lettre internationale du 18 juin 2022: La Suisse parmi les Grands – la malédiction de Troie – recherche de l’eau perdue – liberté au féminin – tu seras mon père